Le concept du déplacement est l'axe de ma recherche non seulement car il permet de faire apparaître de façon brusque et inattendue le dialogue entre paysage et corps, corps et habitat, habitat et mémoire, mais surtout parce qu’il dévoile la question de l’intérieur et de l’extérieur par le seuil. Être à l’extérieur, à l’intérieur et entre les deux .
Les études de différentes textures (tissus, pelage d’animaux, végétaux…) ont donc été un point de départ et m’ont permis de réaliser une série de peintures sur toiles et sur papier représentant des formes d’habitat archaïque. Celles-ci se fondent et se camouflent dans leur environnement et, de ce fait, le traitement pictural de l’espace et de son contexte environnant sont similaires, comme si mon geste ressentait l’exigence de stratifier et fondre à nouveau les éléments dans un tout. Dans des superpositions de peaux, fourrures, membranes, flore, os…, ces cabanes apparaissent telles des corps.
Il me fallait revenir aux origines de ma recherche personnelle, la mémoire et le déplacement. Je me suis documentée à travers des films et d’anciennes photographies d’exilé.es, toutes nationalités et époques confondues, et mon attention s’est alors concentrée sur les sacs, valises et baluchons, ces replis d’urgence, ersatz d’une stabilité et finalement proches de "petites maisons". Sur les formes informes des contenants, assemblés, attachés, traînés, transportés sur la tête, sous le bras, coûte que coûte ; toutes ces parties de vies cachées, enfouies, secrètes, non dites, précieuses pour celle ou celui qui les possède.
Ces fragments de vie, ces sacs de fortune, tout comme les cabanes, font eux aussi partie du paysage ; ils sont nomades et se déplacent dans une errance qui s’imprègne sur le tissu même.
Travailler sur des paysages fluctuants, mous, à la dérive, en dehors du châssis, m’a permis de commencer à étendre mon propos et d’imaginer comment ce travail pourrait évoluer par la suite.
Et si l’on transportait le paysage même à travers un baluchon ? Il pourrait alors se superposer à un autre environnement, se fondre, se détacher, disparaître. « Le paysage dans le paysage ». Â travers l’évocation de ces contenants fermés, je pourrais alors assembler des lieux d’origines différentes, révélant également des corps fantômes, les intégrer dans un ensemble composé de motifs inspirés des tapis orientaux, des céramiques portugaises, des fresques romaines.
En étudiant de plus près ces populations nomades et leurs réalisations textiles, j’ai découvert que le tapis possédait plusieurs fonctions ; l’une d’entre elle étant de remplacer le jardin dans les zones désertiques. Ces lieux imaginaires et concrets à la fois m’ont eux aussi questionnée sur le paradoxe des espaces mentaux et réels. Je réalise actuellement des maquettes en vue d’élaborer des toiles faisant référence aux tapis et à leur représentation symbolique du refuge.